La dette ivoirienne : un défi compliqué mais pas désespéré

La Côte d’Ivoire connaît une croissance économique rapide, mais cette dynamique repose en partie sur un endettement croissant. En 2023, la dette publique représentait environ 58 % du PIB. Le gouvernement affirme qu’elle reste soutenable et qu’elle permet de financer des infrastructures essentielles. Cependant, certains experts s’inquiètent d’une dépendance accrue aux marchés financiers et d’un risque de surendettement.  Faut-il s’inquiéter ? La dette ivoirienne est-elle un moteur de développement ou une menace pour l’économie du pays ?  

Une dette qui a explosé depuis 10 ans

La dette publique ivoirienne est passée de 2 000 milliards de FCFA en 2012 après l’effacement d’une partie de sa dette grâce à l’initiative PPTE à 28 944,7 milliards FCFA en 2024, soit une multiplication par 14 en valeur nominale en une décennie.
Cette forte augmentation s’explique par plusieurs facteurs. Après la crise post-électorale, le pays a investi massivement pour reconstruire ses infrastructures. Entre 2011 et 2015, environ 6 000 milliards de FCFA ont été dépensés pour réhabiliter les routes, les écoles et les hôpitaux.  Les chocs économiques mondiaux ont également joué un rôle. La pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont affaibli l’économie et poussé l’État à emprunter davantage pour soutenir la population et les entreprises. Enfin, le gouvernement a engagé d’importants projets d’infrastructures pour moderniser le pays et attirer les investisseurs.

Une Dette Soutenable ou Risquée ? 

Selon le FMI, la Côte d’Ivoire est classée dans la catégorie des pays à risque modéré en matière de dette. Cette situation signifie que le pays n’est pas encore en difficulté majeure, mais qu’il existe plusieurs signaux d’alerte. Le service de la dette absorbe 42 % des ressources propres de l’État, ce qui réduit la capacité du gouvernement à financer d’autres dépenses essentielles. La pression fiscale est relativement faible, atteignant seulement 13,6 % du PIB contre une moyenne africaine de 17 %. Une part croissante de la dette est levée sur les marchés financiers internationaux, où les taux d’intérêt sont plus élevés.   Toutefois, le seuil critique de 70,29 % du PIB n’est pas encore atteint. La Côte d’Ivoire bénéficie toujours d’une notation souveraine BB-, qui témoigne d’une certaine confiance des marchés.   Notation BB- Certains économistes dénoncent un endettement jugé peu productif. Plusieurs projets d’infrastructure offrent un rendement inférieur à 8 %, ce qui signifie qu’ils ne génèrent pas assez de revenus pour couvrir les coûts d’emprunt.   La part du budget consacrée aux dépenses sociales a baissé ces dernières années. En 2015, 18 % des ressources publiques étaient allouées à la santé et à l’éducation, contre seulement 12 % en 2023.   Certains projets coûtent également plus cher que prévu. Le barrage de Soubré, par exemple, a engendré un surcoût de 30 %.   Un autre problème vient du mode de financement de la dette. Aujourd’hui, 70 % du remboursement des emprunts est financé par de nouveaux crédits. Ce phénomène, appelé effet boule de neige, peut rendre la dette de plus en plus difficile à maîtriser.  

Des Risques Économiques à Surveiller  

Plusieurs facteurs pourraient fragiliser la soutenabilité de la dette ivoirienne.   L’économie du pays dépend fortement du cacao, qui représente environ 40 % des exportations. En 2024, le prix du cacao a chuté de 25 %, montrant la vulnérabilité du pays face aux fluctuations des marchés internationaux.   Le déficit courant est important et atteint -8,2 % du PIB en 2023. Malgré des investissements étrangers significatifs, la balance des paiements reste déficitaire.   L’inflation est un autre défi. Elle a atteint 8,7 % en 2024, ce qui réduit la compétitivité des entreprises locales et augmente le coût de la vie.   Enfin, les réserves de change du pays couvrent seulement 3,5 mois d’importations, alors que le seuil de sécurité recommandé est de 6 mois.  

Quelles Solutions Pour Réduire la Dette ivoirienne ?  

Un groupe d’experts de la société civile propose plusieurs alternatives dont la création d’un fonds souverain et un recours plus important aux partenariats public-privé, afin de limiter la dette ivoirienne. Ils préconisent également l’émission d’obligations indexées sur les matières premières, ce qui permettrait de mieux sécuriser les emprunts. D’après leurs estimations, ces mesures pourraient réduire le ratio dette/PIB de 15 points d’ici 2035.   Depuis 2023, le gouvernement, lui, vise à mieux encadrer la gestion de la dette avec la loi sur la politique nationale d’endettement. Il a fixé une limite annuelle aux emprunts en fonction de la richesse nationale produite et un contrôle régulier est assuré par le Parlement pour éviter les dérapages.   En parallèle, la Côte d’Ivoire met en œuvre une stratégie pour améliorer la collecte des recettes fiscales. L’objectif est d’augmenter la pression fiscale à 15 % du PIB d’ici 2025, notamment en réduisant les exonérations fiscales qui font perdre chaque année près de 20 % du PIB